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L’inapplication des articles 79 et 80 du D.O.C. en matière de voie de fait Note sous C.S.A. 19 septembre 1996, Inous



L’inapplication des articles 79 et 80 du D.O.C.
en matière de voie de fait[1]


Note sous C.S.A. 19 septembre 1996, Inous 



Mohammed Amine BENABDALLAH
Professeur à l’Université Mohammed V
Rabat-Souissi

Possédant un terrain, rue Bab Dbagh, à Marrakech, le requérant reçoit le 30 avril 1992, une correspondance du service des domaines l’informant qu’en vue d’y construire une école, l’Etat envisage de le lui acheter au prix de 350 dirhams le mètre carré. Il décline l’offre. Passant outre son refus, l’administration, sans obtenir son accord, ni même engager la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique, exécute le projetcomme si son acquisition du terrain ne souffrait aucune irrégularité. Soutenant le caractère de voie de fait du comportement de l’administration, il s’adresse au Tribunal de première instance de Marrakech pour demander, en application de l’article 79 du D.O.C., la réparation du préjudice qu’il a subi.
Après s’être heurté à la déclaration d’incompétence matérielle du Tribunal, il interjette appel devant la Cour suprême et celle-ci, tout en confirmant le jugement d’incompétence, considère dans la motivation de son arrêt, que, compte tenu de la nouvelle orientation de sa jurisprudence, le litige doit relever des tribunaux administratifs, en ajoutant une mention importante quant à l’inapplication des articles 79 et 80 du D.O.C. en matière de voie de fait. Sans s’attacher aux détails de l’affaire qui en fonction des questions qu’ils soulèvent, peuvent faire l’objet d’un autre commentaire, il semble possible de dire que la boucle est pratiquement bouclée dans la mesure où dans 
l’arrêt est apparu un élément nouveau et complémentaire qui, à notre sens, permet de dégager une position nette et claire de la Cour suprême sur la théorie de la voie de fait.

Au risque de tomber dans des redites, on rappellera, ne serait-ce que pour marquer le point de départ de l’évolution, que l’institution des tribunaux administratifs, malgré les avantages incontestables procurés aux justiciables en matière de recours en annulation pour excès de pouvoir, a engendré un certain nombre de difficultés quant à la détermination du juge compétent, notamment en matière de voie de fait. L’évolution est suffisamment connue
[2], mais on se bornera à dire que, après les attitudes opposées de certains tribunaux administratifs, la Cour suprême a finalement consacré la compétence administrative relative à la voie de fait[3], non sans avoir soutenu tout à fait le contraire moins d’une année auparavant[4]. Néanmoins, elle laissa en suspens une question dont l’importance ne permettait aucun doute, et qui était en étroite relation avec le rôle fonctionnel de la notion[5], voire même avec le devenir de son utilité en tant que catégorie juridique, c’est la question du droit applicable. Sans doute ne peut-on pas lui en faire le reproche alors que celle-ci ne lui était pas clairement posée, mais il n’en reste pas moins que rien ne lui interdisait de la résoudre dans la lancée de la longue motivation de l’arrêt Ammouri. En tout cas, le hasard semble avoir accéléré le déroulement des étapes en lui soumettant un litige portant essentiellement sur la pierre manquant à l’édifice pour l’amener à déclarer quatre mois plus tard, dans l’arrêt du 19 septembre 1996, Inous, que les articles 79 et 80 du D.O.C. ne sauraient s’appliquer à la voie de fait.

Conséquence du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, la 
voie de fait est apparue dans la jurisprudence française pour déchoir l’administration de son privilège de juridiction. Sa transposition au Maroc, due à une étape fort connue de l’histoire, ne l’a cependant pas délesté de son rôle fonctionnel et de ses effets juridiques au plan juridictionnel. Dès la première occasion[6], la Cour suprême, reprenant lajurisprudence du protectorat[7], lui a accordé une place semblable à celle qu’elle occupait dans son pays d’origine, sauf que pour des raisons évidentes tenant à l’organisation judiciaire, caractérisée par l’unité de juridiction et la dualité de droit[8], elle relevait du même juge, mais qui statuait en s’affranchissant des règles du droitadministratif constituées d’un ensemble d’interdits octroyant à l’administration unesituation assez privilégiée au regard de celle d’un justiciable ordinaire. D’ailleurs, c’estpour éviter ces interdits, en vigueur tant que les autorités administratives secomportaient, si l’on ose dire, régulièrement à l’égard des administrés, que lajurisprudence française a donné naissance et a édifié la théorie de la voie de fait. Cette théorie a pour objet d’écarter les règles du droit administratif au profit de règles bien plus sévères pour l’administration. Dans le système de dualité de juridiction, elle a pourrésultat de faire relever le litige de la compétence du juge civil et d’appliquer à l’administration, déchue de son privilège de juridiction, non plus les règles exorbitantes du droit commun, mais, tout simplement, les principes ordinaires et usuels du droit privé. Dans notre système d’unité de juridiction et de dualité de droit, elle a constamment été une exception au critère de détermination et d’application de la matière administrative[9].



C’est, précisément, dans le prolongement de cette logique que nous semble s’inscrire l’arrêt Inous.

L’unité de juridiction qui épargnait au justiciable le redoutable problème de la détermination du juge compétent puisque tout le contentieux de pleine juridiction relevait du même juge, s’est trouvé sérieusement remise en cause et vigoureusement bousculée par la création des tribunaux administratifs. Les inconvénients de la dualité ont commencé à apparaître, alors qu’aux plans organisationnel et procédural, l’unité continuait, et continue, d’exister. Une application stricte et orthodoxe de la théorie de la voie de fait eût voulu faire relever celle-ci des tribunaux ordinaires et demeurer fidèle à la jurisprudence antérieure à la création des tribunaux administratifs. C’est, d’ailleurs,dans ce sens que la Cour suprême a dû s’orienter dans les arrêts Bisrour et Belkacem.

Mais il n’était pas nécessaire, sous prétexte de fidélité et d’orthodoxie à une 
jurisprudence ancienne, de persister dans l’adoption d’un système d’importation dans sa totalité sans le retoucher en vue de le rendre plus confortable.


A cet égard, le justiciable n’est plus à plaindre, car le juge administratif, étant désormais compétent pour constater et faire cesser la voie de fait, il n’y a plus lieu de parler de détermination du juge compétent. Toutefois, pour sa réparation, la question devait être résolue dans la logique de l’existence d’un doit commun et d’un droit constitué principalement de règles qui lui sont exorbitantes.

Edifiées en France durant bientôt deux siècles, ces règles-là ont été en grande partie adoptées au Maroc, avec la parution des premiers textes sur l’organisation judiciaire et le Code des obligations et contrats contenant deux dispositions traitant de la responsabilité administrative dont la Cour suprême, à l’occasion de l’arrêt Inous, a écarté l’application en matière de réparation de la voie de fait. 

Ceci nous semble aller parfaitement dans le sens de la théorie retouchée de la voie de fait en droit marocain. D’une part, la compétence des tribunaux administratifs pour la constater et la faire cesser en application de l’article 19 instituant le référé administratif[10] dans la mesure où il n’existe aucun principe historique qui l’interdise comme en France[11] et, surtout en raison du fait que cette compétence automatique du juge
administratif va épargner au justiciable la recherche du juge compétent. D’autre part, la compétence des mêmes tribunaux pour en réparer les conséquences dommageables sur la base de principes autres que ceux qui se dégagent des articles 79 et 80 du D.O.C. Ce qui, à nos yeux, se défend aisément.

Lorsque l’administration se situe totalement en dehors du droit en commettant un acte matériel manifestement insusceptible de se rattacher d’une manière quelconque aux pouvoirs qu’elle détient, elle ne peut plus, raisonnablement, se prévaloir de sa qualité de puissance publique au service de l’intérêt général. Devenue hors la loi par l’occupation et la dépossession sans droit, ni titre, du terrain d’autrui ou l’atteinte abusive aux libertés des administrés[12], elle n’est plus dans la situation de l’autorité qui mérite d’être traitée 
selon des règles généralement applicables à l’Etat et aux municipalités en cas de dommages causés directement par le fonctionnement de leurs administrations et par les fautes de service de leurs agents. Autrement, on ne voit absolument pas quelle pourrait être l’utilité juridique de la voie de fait. Notion fonctionnelle, elle ne peut être utilement invoquée que pour entraîner des effets juridiques spécifiques. Si on en parle tout en maintenant que l’on doit lui appliquer les règles du droit administratif, on ne voit réellement pas pourquoi on ne ferait pas l’économie d’une théorie devenue vide de sens parce que sans effets juridiques[13]. A-t-on intérêt à le faire ?

Nous ne le pensons pas !


Car, paradoxalement, pour combattre la voie de fait en tant que pratique administrative,
 il est impérieux de la maintenir comme théorie entraînant l’application d’un régime se basant sur les principes du droit civil, et écartant, par voie de conséquence, les règles du droit administratif. En lui appliquant le régime administratif, on risque de la banaliser en la diluant dans les actes quotidiens de l’administration de nature à causer des dommages réparables sur la base de l’article 79 du D.O.C.[14], et appréciables en fonction des besoins du service public en cause[15]. Or, la voie de fait n’est assimilable ni à undommage causé par le fonctionnement de l’administration, ni à une faute de service de l’un de ses agents[16]. Il faut bien admettre que c’est un acte auquel on n’a attribué l’expression de voie de fait que pour mettre en relief l’idée de violence et de brutalité et l’absence de tout lien avec le droit.

Faut-il dire alors qu’en droit administratif, certaines notions n’ont d’utilité que par le 
régime juridique qu’elles entraînent ? Les notions fonctionnelles[17]. Plusieurs exemples peuvent être fournis, mais on se contentera de ceux qui nous paraissent les plus éloquents.

Lorsque le juge parle d’acte inexistant et non simplement illégal
[18], c’est bien pour l’application d’un régime juridique autre que celui qui est habituellement appliqué en cas de simple illégalité. Lorsqu’il parle d’actes de gouvernement , de mesures d’ordre intérieur ou, en droit marocain, d’actes royaux, ce n’est certainement pas pour le plaisir d’inventer des concepts ou de faire usage d’appellations nouvelles, mais c’est pour différencier une situation juridique par rapport à d’autres. Pour ce qui concerne notre sujet, lorsque le juge qualifie une situation de voie de fait, ce n’est pas pour gronder l’administration, mais c’est pour distinguer une situation déterminée d’une série d’autres dans lesquelles celle-ci voit sa responsabilité engagée soit pour faute, soit pour risque et, par conséquent, faire appel à des règles autres que celles qui lui sont appliquées dans ces deux grands cas. Aussi, nous estimons que le juge qui déclarerait la voie de fait et lui appliquerait les règles habituelles en matière de responsabilité, serait exactement dans la position du juge de l’excès de pouvoir parlant d’actes de gouvernement, de mesures d’ordre intérieur ou d’actes royaux, et déclarant sa compétence pour en contrôler la légalité !

Au delà de toutes ces considérations, il nous semble nécessaire de contrecarrer cette
 tendance de l’administration à « se servir elle-même » au mépris de toute procédure juridique. Il n’est pas conforme aux principes de l’Etat de droit que après occupation illégale d’une propriété privée, l’administration puisse se prévaloir du principe de l’intangibilité de l’ouvrage public[19]. Aller dans ce sens, c’est déclarer l’inutilité du dahir du 6 mai 1982 sur l’expropriation et l’ineffectivité de l’article 15 de la Constitution proclamant le principe du droit de propriété.

L’adage selon lequel l’ouvrage public mal planté ne se détruit pas ne doit pas être une
 protection systématique de l’illégalité de l’administration. Ce n’est pas parce qu’on n’a jamais osé ordonné la destruction d’un ouvrage public illégalement édifié sur la propriété d’autrui[20] que par application de règles s’apparentant à un jeu juridique, on doit continuer de s’avouer désarmé face à une administration se situant au dessus du droit.

La mise à l’écart de l’application des articles 79 et 80 du D.O.C. par la Cour suprême en
 matière de voie de fait doit ouvrir au juge la possibilité de condamner aussi sévèrement que possible l’administration rebelle au droit. Il serait même plus juste de condamner, si le requérant le sollicite, mais devant le Tribunal de première instance, le responsable qui est à l’origine de la voie de fait[21]. Sans doute que cette proposition soit de nature à renverser l’ordre des choses par le recours à une solution inhabituelle dans notre droit, mais il suffira de l’appliquer une, deux ou trois fois pour s’apercevoir que la voie defait, au moins en matière immobilière, ne relève pas de la fatalité. La base juridique de cette voie nous semble être dans les règles du droit civil du code des obligations et contrats. Si le juge ne les considère pas suffisamment solides, ce dont nous doutons, il revient au législateur d’intervenir pour protéger le droit constitutionnel de la propriété qui ne peut connaître de limitation que par la loi. 




C.S.A. 19 septembre 1996, Inous[22]

« Les articles 79 et 80 du D.O.C. ne s’appliquent pas à la voie de fait administrative car l’article 79 cité concerne la responsabilité de l’Etat et des municipalités pour les préjudices causés directement par le fonctionnement de leurs administrations et les fautes de service de leurs agents, tandis que l’article 80 concerne la responsabilité personnelle des agents de l’Etat et des municipalités.

Le jugement déclarant l’incompétence du tribunal ordinaire est confirmé.»


« Considérant que l’appelant soutient qu’en application de l’article 79 du D.O.C., l’Etat doit réparer les préjudices causés à autrui pour avoir réalisé ce qu’elle a fait sans son accord et sans suivre la procédure juridique prévue par le dahir du 6 mai 1982 relatif à l’expropriation pour cause d’utilité publique, que ce comportement constitue une voie de fait, que, par suite, la compétence revient à la juridiction ordinaire pour examiner la voie de fait sur la propriété privée et examiner également la réparation du préjudice que celle-ci lui a causé, et, ce conformément aux principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique dans le cadre des articles 79 et 80 du D.O.C. »


(…)


« Considérant que les articles 79 et 80 du D.O.C. invoqués par le requérant en vue de confirmer la compétence des juridictions ordinaires pour statuer sur le présent litige ayant pour objet la réparation de la voie de fait administrative, n’ont pas lieu de s’appliquer audit litige, étant entendu que l’article 79 concerne la responsabilité de l’Etat et des municipalités pour les dommages résultant du fonctionnement de l’administration et les fautes de service de ses agents, et que l’article 80 concerne la responsabilité personnelle des agents de l’Etat et des municipalités.»


« Considérant qu’il s’avère de tout ce qui précède que c’est à bon droit que le jugement objet de l’appel, a été rendu en déclarant l’incompétence non sur la base du fait que la demande d’expertise émanant de l’appelant concernait un litige d’expropriation pour cause d’utilité publique relevant du tribunal administratif, mais sur la base du fait que la demande originelle concernait la cessation de la voie de fait administrative qui relève de la compétence du tribunal administratif, compétent aussi

pour examiner les recours en indemnités y afférents.»






[1] REMALD n° 22, 1998, p. 117.
[2]M. Skali Houssaïni, « La voie de fait, entre la justice ordinaire et la justice administrative », REMALD, « Thèmes actuels », n° 1, p. 43, (en langue arabe) ; H. Simou, « Le recours pour excès de pouvoir et les actes matériels de l’administration », REMALD n° 12, p. 45, (en langue arabe) ; M. Antari, « Remarques sur quelques tendances récentes de la jurisprudence administrative marocaine », REMALD n° 18, p. 55 à 58 
[3]C.S.A. 20 mai 1996, Ammouri, Commentaires, REMALD n° 17, de M. Rousset, p. 9, et M.A. Benabdallah, p. 17 
[4]C.S.A. 20 juillet 1995, Bisrour, même date, Belkacem, REMALD n° 14 – 15 p. 57, note Benabdallah
[5]G. Vedel, « La juridiction compétente pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait administrative », J.C.P. 1950, 851, § 4
[6]C.S.A.4 décembre 1958, Consorts Félix, R. p.164 
[7]C.A. Rabat, 7 février 1947, Dame R., RACAR, T. XIII, p. 133 ; C.A., Rabat, 25 mars 1949, Messina, R.M.D. 1950, p. 71, note F. Luchaire
[8]Concernant l’unité de juridiction et la dualité de droit, voir le point de vue contraire de M.Serhane, « Autopsie d’un mythe judiciaire au Maroc », REMALD, « Thèmes actuels », 1995, n° 1, p.19 ; « Les développements récents du «droit de propriété» dans le contentieux administratif au Maroc, REMALD n° 20-21, p. 100, soutenant que la dualité de juridiction aurait de tout temps existé au Maroc et qu’il serait complètement faux d’affirmer le contraire. C’est une opinion respectable qui, cependant, ne pourrait être partagée que si son auteur parvenait à la démontrer, non à partir d’une vision purement personnelle, mais, comme l’impose la science juridique, à partir de données visibles par tous. Quand on veut procéder à une autopsie, et que l’on cherche à établir ce que l’on croit être la vérité, on ne le fait pas en demandant aux autres d’imaginer que le chiffre « un » est égal à « deux ». Il n’est pas un seul administrativiste qui ignore que, de 1913 à 1994, l’année de l’entrée en fonction des tribunaux administratifs, le juge marocain statuait, selon la nature du cas, tantôt en matière civile, tantôt en matière administrative. C’est dans cette dualité de droit, que personne ne réfute, que M. Serhane voit une dualité de juridiction. C’est là que réside la particularité du regard de l’auteur ; et c’est sur ce point précis qu’il est difficile d’avoir le don dont il est doté. L’ennui c’est qu’on ne peut adopter la vision de dualité de l’auteur que si, avec le même regard, il parvient à trouver une appellation adéquate au système français de la vraie dualité de juridiction. S’il y voit une « triade » ou davantage, on comprendra ! Sans doute que cet auteur n’a de cesse de développer son opinion, et de la répéter chaque fois que l’occasion lui est offerte, mais il faut se rendre à l’évidence que ce n’est point par la répétition qu’elle emportera l’adhésion. Bien au contraire, elle ne suscitera que des sourires continus d’étonnement surtout que le sujet en lui-même, quand bien même il existerait, est complètement dépassé et qu’il gagnerait à s’effacer au profit de thèmes intéressant plus directement le justiciable et le progrès des sciences juridiques dans notre pays. Il nous semble préférable de s’attacher à l’étude du droit positif plutôt que de perdre temps et énergie à projeter des visions qui finalement relèvent du droit négatif. Pour notre part, nous n’aurons pas l’outrecuidance de qualifier M. Serhane d’hérétique, comme il l’a fait, abusivement, à notre égard, (Les développements…p. 123, 6ième ligne), car nous estimons que ce serait descendre vraiment trop bas. Néanmoins, l’emploi de ce qualificatif doit donner lieu à une mise au point,et nous osons croire que M. Serhane ne pensait tout de même pas qu’une telle familiarité n’allait susciter aucune réaction. Nous n’insisterons pas sur l’amusante infaillibilité qu’affiche M. Serhane en tirant sur la foule. N’approuvant, en fin de compte, personne que lui-même, il bénit, mais du bout des lèvres, quelques chanceux. Blâmant par-ci (ex. p. 103, note 14 ; p. 106, note 19), félicitant par-là (ex. p. 127, note 97), il trouve inévitablement le moyen de dire que l’auteur qu’il approuve « a simplement creusé… une direction peu juteuse pour la question soulevée ». C’est à croire que l’oracle n’épargne que ceux qui ont eu la chance de ne rien écrire ! De mémoire d’homme, jamais un auteur, même parmi les plus grands maîtres, n’a trempé sa plume dans une encre aussi peu modeste. Mais là n’est pas le plus important. M. Serhane s’évertue à ne choisir que certains passages, voire des phrases isolées d’articles ou de notes de jurisprudence de différents auteurs pour les interpréter en fonction de l’idée qu’il désire appuyer trompant ainsi et le lecteur et les auteurs eux-mêmes. Exemple, p. 100, note 4, les sept dernières lignes où il écrit :« Toutefois, ce dernier auteur semble admettre, de plus en plus, la conception inverse, puis il cite : [qu’on le veuille ou pas, notre système juridictionnel a été bâti sur le principe de la séparation des autorités (administratives et judiciaires)… issu d’une certaine conception de la séparation des pouvoirs] ». Une question, alors : Où, et à quelle occasion, « ce dernier auteur » a-t-il nié ou ignoré la conception en question ? Est-ce que le fait de la soutenir doit forcément impliquer l’adoption de la vision de dualité ? La même méthode est employée : p. 110, note 43 ; p. 112 , note 54 ; p. 132 , note 108… Faut-il dire que la recherche n’est pas un spectacle ? Faut-il dire aussi, ou du moins rappeler, qu’une phrase ou une affirmation ne peut être honnêtement exploitée, que si elle est placée dans son contexte ? Autrement, ce serait commettre une grave infraction au code de déontologie du dialogue scientifique et, partant, se faire l’adepte d’une lâche et odieuse fraude. Cela étant, nous maintenons notre « hérésie », si tant est que c’en est une, en persistant à dire avec lamême conviction, et bien persuadé que l’affirmation « pour l’essentiel, ne nous demeure pas propre »,comme le dit l’auteur, sans raison, ni preuves, ( même article, p. 128 , note 98, in fine ) que : « dans uncadre véritable d’unité de juridiction, la voie de fait ne posait aucun problème dans la mesure où un juge unique pouvait en être saisi pour la constater, la prévenir, la faire cesser et condamner l’administration àen réparer les conséquences dommageables » « La voie de fait et le droit », REMALD n° 14-15, p. 46 . Voyons cela de plus près. N’est-ce pas ce que l’on peut déduire de la jurisprudence Consorts Félix que l’auteur ne semble pas méconnaître ? « Attendu que l’organisation judiciaire du Royaume, telle qu’elle résulte du dahir du 12 août 1913, et des textes subséquents, comporte un ordre unique de juridictions, compétentes à la fois en matière civile et en matière administrative ». Et, n’est-ce pas ce qui ressort de l’abondante jurisprudence citée par le contradicteur lui-même dans son article, p. 93, note 4 ? A notre connaissance, dans toutes ces affaires, les requérants ne s’étaient pas heurtés au problème du choix du juge compétent, ce problème n’a d’existence que depuis la création des tribunaux administratifs. Ce qui confirme, à qui voudrait voir, qu’il n’y avait pas dualité de juridiction. Où réside alors l’hérésie ? Et, si hérésie il y a, qui est l’hérétique ? Nous défions l’auteur de fournir un seul arrêt, rendu avant le 4 mars 1994, soulevant la question du juge compétent dans le domaine de la voie de fait. S’il y parvient, il démontrera que la dualité, que lui seul est parvenu à discerner, a bel et bien existé à l’insu de tous. Inutile d’aller plus loin ! Nous estimons qu’un tel terme devrait être banni du langage de la gent scientifique. A moins, bien entendu, que son utilisateur lui donne une signification bien personnelle. En tout état de cause, nous préférons maintenir la barre du débat doctrinal à un niveau très haut d’éducation,en remarquant qu’il est heureux que, à notre époque, les hérétiques ne soient plus condamnés au bûcher ! 

[9]J. Prat, La responsabilité de la puissance publique au Maroc, Rabat, 1963, p. 30 ; O. Renard-Payen, L’expérience marocaine d’unité de juridiction et de dualité de droit, L.G.D.J., 1964, p. 35 ; H.Ouazzani Chahdi, « La voie de fait et la compétence du juge des référés », R.M.D., 1985, n° 3, p. 165 
[10]E. Serhane, « Les développements récents … » op.cit. p. 99 et s. 
[11]M.A. Benabdallah, « Compétence administrative et voie de fait », REMALD n° 13, p. 87. Le principe de la compétence judiciaire inspirée de la jurisprudence française a été expressément abandonné par le Tribunal administratif de Rabat lors de son jugement du 9 mai 1996, Akouh, REMALD n° 16, p. 98 ; et tout aussi expressément par le Tribunal administratif de Marrakech lors de son jugement du 17 septembre 1996, Baddou, REMALD n° 18, p. 157
[12]Il est à signaler que dans la jurisprudence marocaine, tous les cas de voie de fait ont, jusque-là, concerné exclusivement le droit de propriété. Sur ce point, E. Serhane, op. cit. p. 96. 
[13]C’est la raison pour laquelle nous avions cru devoir nous interroger si par l’application des règles du droit administratif, on ne se dirigerait pas « Vers la fin de la théorie de la voie de fait ? », REMALD n°17, p. 23.
[14]Concernant ce point de vue, voir l’opinion du professeur Rousset, « Consécration et évolution de la notion de voie de fait dans le contentieux administratif marocain », REMALD n° 17, p. 15. En fait, cette opinion n’est qu’apparemment opposée à la nôtre, car à partir du moment où M. Rousset avance, en substance, que l’intérêt général devient totalement annihilé par l’usage abusif des pouvoirs dont dispose normalement l’autorité administrative, et que dans ces conditions, le juge administratif doit accorder réparation intégrale du préjudice qui lui a été causé, nous sommes parfaitement d’accord. Notre crainte est que le juge traite la voie de fait comme un préjudice devant entraîner réparation sur la base de la conciliation entre l’intérêt général et les droits des particuliers et en application du principe que la responsabilité de l’Etat n’est ni générale ni absolue. Si tel n’est pas le cas , cette crainte n’aura pas été fondée. Mais ne peut-on pas dire qu’en accordant réparation intégrale, nous entendons la restitution du bien à son propriétaire après démolition ce qui y a été construit par l’administration, le juge se situe implicitement en dehors des règles de droit commun de la responsabilité administrative et, par conséquent, en marge de l’article 79 du D.O.C. ? Au sujet du même point, on peut lire chez M. Antari, loc.cit. p. 58 :
« Sans doute, on peut faire valoir l’idée de la réparation intégrale, mais on ne doit pas oublier que la responsabilité administrative n’est ni générale ni absolue selon la formule du Tribunal des conflits dans le célèbre arrêt Blanco du 8 février 1873 que reprend la Cour d’appel dans son arrêt du 19 mai 1953, Ben Hamou » 
[15]En d’autres termes, le juge sera forcément amené à considérer la voie de fait tolérable si l’administration la justifie par le besoin de construire une école, un dispensaire ou tout établissement ayant pour but l’intérêt public. En réalité le problème ne doit pas se poser en ces termes, sinon ce serait le cautionnement du laxisme. Il faut partir de l’idée que dans ces cas-là, abstraction faite de toute considération, l’administration se doit d’emprunter la voie de l’expropriation comme, du reste, le précise la Constitution, et non celle de la spoliation qui dans un Etat de droit, doit subir une censure juridictionnelle exemplaire. 
[16]Contrairement à ce point de vue , M. J. Hassoun , Commissaire royal auprès du Tribunal administratif de Marrakech, considère que la voie de fait constitue une faute de service à traiter dans l’esprit de l’article 79 du D.O.C. , « A propos de la voie de fait », REMALD n° 16 , p. 75. 
[17]G. Vedel, loc. cit. § 4 
[18]Sur cette théorie, J.M. Auby, « L’inexistence des actes administratifs », Pedone, 1951 ; F. Wodié, « L’inexistence des actes juridiques unilatéraux en droit français », A.J.D.A. 1969, p. 76 ; P. Le Mire, « Inexistence et voie de fait », R.D.P. 1978, p. 1219
[19]En réalité il nous semble injuste de responsabiliser l’administré, victime d’une voie de fait immobilière, sous prétexte qu’il ne s’est pas manifesté avant l’apparition de l’ouvrage sur son terrain car nous estimons que ce serait cautionner le fait accompli et encourager l’administration à engager une sorte de course contre la montre pour transformer la voie de fait en une expropriation déguisée totalement en marge de la légalité. 
[20]Dans son étude précitée, M. Serhane relève, p. 136, que jamais une décision de justice n’a ordonné la démolition d’un ouvrage public irrégulièrement construit par l’administration suite à une voie de fait. A juste titre, il ajoute que le principe de l’intangibilité de l’ouvrage a favorisé le développement de l’expropriation indirecte. Précisément, nous pensons que c’est à ce niveau que sur la demande du requérant, le juge devrait agir, car très souvent, la crainte de la sanction constitue le début de la sagesse. Ceci, bien sûr dans la mesure où après la démolition ordonnée par le juge pour restituer le terrain confisqué à son propriétaire, il est procédé au sein de l’administration à une enquête ayant pour objet de déterminer LE responsable de la voie de fait. 
[21]Dans ce sens, G. Vedel, loc. cit. § 18
[22]Publié dans le recueil des arrêts de la Cour suprême, Chambre administrative, 1957 –1997, p. 421

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